« Connaitre, ce n’est point démontrer, ni expliquer, c’est accéder à la vision »

Antoine de Saint-Exupéry

mardi 15 juillet 2014

Le risque du développement relationnel

Lorsque que je rencontre  les managers, les chefs d’entreprises, les dirigeants, je suis souvent étonné de découvrir à quel point mes interlocuteurs sont démunis face aux réactions de leurs collaborateurs. Leurs connaissances de l’Homo œconomicus sont empiriques et souvent très insuffisantes. Ils n’en comprennent ni la nature, ni le fonctionnement. Pour garder une certaine maitrise, on observe alors une double tentation : Soit le développement des règles contraignantes et de l’autoritarisme (hyper normalisation) plutôt l’apanage du secteur privé; soit la tentation de l’abandon managérial et du laxisme, plutôt observé dans les administrations ou dans le monde associatif. Ces deux excès peuvent avoir des conséquences dramatiques.

Voici ce que l’on peut lire dans un rapport public consacré aux risques psycho sociaux : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/104000081/0000.pdf
« La formation au management proposée dans les écoles de commerce et d’ingénieurs, ainsi que dans les cursus universitaires, n’est pas une formation à la conduite des équipes. D’après une étude réalisée par la commission des titres d’ingénieur8, 65% des ingénieurs interrogés estiment que leur formation initiale ne les a pas préparés à « s’intégrer dans une organisation, à l’animer et à la faire évoluer ». Seuls 15% s’estiment sensibilisés par leurs études « aux relations sociales ».

Même si l’on sent aujourd’hui les prémisses d’un enseignement Anthropologique, Social et Philosophique dans certaines grandes écoles, les Dirigeants qui sont en postes actuellement n’ont bénéficiés, dans le meilleur des cas et en tout et pour tout, que d’une très vague approche de la philosophie au cours de leur année de terminale.

Et pourtant !

L’entreprise avant d’être une réalité technique et économique est une nécessité Anthropologique (l’Homme aspire à entreprendre et à améliorer le monde dans lequel il vit), une réalité sociale (pour entreprendre l’Homme a besoin d’être en contact avec des congénères), et repose toujours sur une cause philosophique de finalité (en quoi ce que j’entreprends est bon pour moi et pour les autres).

L’Homme est au cœur de l’entreprise. Il n’est pas d’entreprise humaine qui ne soit d’une façon ou d’une autre au service de l’Homme. L’entreprise est donc toujours par l’Homme et pour l’Homme. L’enjeu pour les dirigeants c’est d’amener l’ensemble des collaborateurs à prendre conscience de la réalité du bien qu’ils proposent à leurs clients et partenaires et à détourner leur attention qui est aujourd’hui égocentrée. Nous vivons à l’heure de l’individualisme et ce qui compte avant tout, c’est de réussir son « épanouissement personnel ». Cet égocentrisme est aggravé par le sentiment de peur qui domine dans une société en crise. Nous comprenons bien l’importance qu’il y a à s’épanouir dans son travail. La découverte et la mise en œuvre de ses talents est un gage d’épanouissement. Mais nous ne devons pas oublier que « sans les autres, rien n’est possible ». L’épanouissement de soi est possible soit en asservissant les autres à ses besoins et ses désirs individuels et « autrui devient l’enfer », soit en étant attentif aux désirs et aux besoins des autres pour que les autres soient attentifs à nos propres désirs et à nos propres besoins. La première approche est une approche de soumission, la deuxième une approche d’association.


Voilà ce que peut donner schématiquement le développement d’une entreprise autocentrée sur le dirigeant et la satisfaction de ses désirs et besoins individuels



Le Manager ne comprend pas la nécessité ni ne prend le temps de partager avec ses collaborateurs ses projets et sa vision du développement de son entreprise ou de son service. Il en porte seul la compréhension intelligible. Il ne développe avec son environnement qu’une relation d’utilité. Pour que ses collaborateurs accomplissent les taches nécessaires à l’aboutissement du projet, il fragmente le travail en définissant le plus précisément possible les contours de chaque poste et de chaque fonction. Il cherche ensuite à « acheter » des compétences susceptibles d’accomplir ces tâches. Il exerce alors une autorité de contrainte pour que chacun  « fasse son travail ».








Le manager prend le temps de construire une relation de confiance avec ses collaborateurs. Il s’efforce de leur donner une compréhension intelligible de la situation, de ses projets et de sa vision du développement de l’entreprise et de les faire évoluer par une confrontation bienveillante avec  chacun. Il adapte les postes et les fonctions en fonction des talents et des compétences de chacun. Il cherche des collaborateurs qui manifestent le désir de coopérer au projet en étant attentif à créer toujours les conditions d’une libre adhésion à ce projet. Il consulte et délègue laissant le soin à chacun de s’approprier son action pour y mettre le meilleur de lui-même. En mettant en lumière la finalité de l’entreprise et la vision dont il est porteur, il créé les conditions d‘une compréhension intelligente de la situation et d’une adhésion libre et consentie à participer à ce développement.

Comment créer les conditions d’une relation constructive ?


La relation dans l’entreprise repose sur 4 types de relations habituelles :

-          La relation instantanée   : C’est ce que nous faisons chaque jours et à chaque instant en échangeant avec ceux qui nous entourent dans le but d’accomplir les tâches qui nous sont confiées. La force de l’habitude fait que bien souvent nous ne soignons pas ou plus ces relations particulières (nous ne disons plus bonjour, plus de s’il vous plait, de merci, nous ne prenons plus le temps de nous intéresser réellement à ce qu’est l’autre et à ce qu’il vit…) Et pourtant ! Ces relations représentent plus de 90% du temps que nous passons ensemble.

-          Les moments privilégiés en face à face :  Ces moments sont indispensables pour réguler les relations dans des échanges et ils reposent sur « la mise en commun de nos repères imaginaires ».   Sans ce type d’entretiens individuels, nous prenons le risque du développement  d’idées préconçues, des fausses idées qui peuvent se transformer en bruits de couloirs puis en rumeurs…


-          Les moments privilégiés en équipe Ce sont des temps ou on se retrouve en équipe pour faire autre chose que ce que l’on fait d’habitude : travailler ensemble. Cela permet de découvrir ceux qui nous entourent en les voyants sous un autre jour et dans un autre contexte. Cela favorise la connaissance et la reconnaissance mutuelle.

-          Les relations indirectes Il s’agit principalement de l’internet avec les mails et les réseaux sociaux. Ils apportent de nouvelles possibilités mais ne remplaceront jamais un entretien en face à face. Une mauvaise utilisation de ces nouveaux outils créé le stress et la distance.

Si nous prenons du temps pour travailler nos relations et d’apprendre à connaitre ceux qui nous entourent professionnellement, si nous acceptons  de dire qui nous sommes et ce à quoi nous aspirons, nous prenons au pire le risque que rien ne change et au mieux que tout s’arrange. C’est un risque à prendre.

jeudi 1 mai 2014

Redonner du sens à l’engagement dans l’entreprise


Imaginez l’entreprise « Lumière » dont la finalité serait d’éclairer avec le plus d’intensité possible son environnement immédiat. Imaginez maintenant que chaque collaborateur de cette entreprise est un accumulateur électrique d’une génération nouvelle et qui a le pouvoir:
  •  soit de produire de façon autonome de l’électricité  et de la mettre à disposition de l’entreprise pour augmenter l’intensité de la lumière,
  • soit de se mettre en position neutre c’est-à-dire ne pas produire ni consommer d’électricité mais attendre passivement que les conditions soient plus favorables pour se remettre en marche.
  • soit de consommer de l’énergie produite par les autres accumulateurs pour assurer sa survie,

Imaginez que ce qui fait la caractéristique supérieure de cette ressource énergétique dans l’entreprise c’est l’intelligence qui lui permet de choisir « librement » son mode de fonctionnement. Il y a donc dans cette source d’énergie une capacité à l’autodétermination qui va se traduire par :

  •            Je me mets au service de la finalité de l’entreprise,
  •       je me mets en attente de meilleures conditions donc je cesse de contribuer à sa finalité ou
  •             je consomme de l’énergie pour assurer ma survie dans l’entreprise et j’affaibli l’ensemble.
Voilà la réalité à laquelle est confronté l’entrepreneur du 21ème siècle. Dans un contexte de bouleversements économiques, alors qu’il doit faire face à un environnement sans cesse plus contraignant, alors qu’il voudrait pouvoir compter sur toutes les forces vives pour relever les défis,  il doit chaque jour faire le constat de défections nombreuses.

Entre 2000 et 2011, le nombre de jours d’arrêt maladie a augmenté de 14% passant de  180 millions de Journées à 205 millions de journées (source : sécurité sociale)
Selon Technologia, 3,2 millions de français soit 12% de la population active serait en « risque élevé » de burn out.

Comment faire alors pour que chacun dans l’entreprise retrouve l’envie et l’énergie d'œuvrer au projet commun ? Comment créer les conditions d’une adhésion volontaire pour investir du temps dans l’entreprise ? Comment éviter de se trouver dans l’obligation de multiplier les règles pour contraindre les collaborateurs à faire « ce pourquoi ils sont payés » ? Comment redonner du sens à l’investissement individuel et collectif dans un projet commun ?

La réponse est à la fois simple et compliquée.

Simple parce que la cause première de cette démobilisation générale repose sur la perte de la vision commune et de la compréhension de la finalité et de l’engagement des entreprises à œuvrer au bien commun. La mobilisation individuelle et collective repose sur la conviction profonde de « faire quelque chose de bien ». Et contrairement à ce que l’on pourrait croire par une analyse superficielle des relations Entrepreneurs-Collaborateurs, l’argent n’est pas un levier efficace. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à observer ce qui se passe au niveau du bénévolat. 
D’après une étude réalisée par France Bénévolat, le travail bénévole en France a augmenté de 14% entre 2010 et 2013 soit un nombre de bénévoles qui s’élève à 20 900 000 personnes ! « Si la crise a un effet, c’est dans le sens d’une plus grande solidarité, et non, ainsi qu’il est communément admis, d’un repli sur soi.» (Situation du bénévolat en France en 2013-France bénévolat)
Et bonne nouvelle, les jeunes s’engagent de plus en plus avec +19 % dans la tranche d’âge des 15-35 ans et + 31% dans la tranche 35/64 ans.
Les ressorts de la mobilisation sont donc bien présents.

Compliqué parce que le mal semble profond. Le désamour entre les salariés et leur entreprise grandit. Selon une étude réalisé par le cabinet Mercer en 2011, près de 30% des salariés souhaiteraient quitter leur entreprise contre seulement 17% en 2007.
Un long travail de fond est donc nécessaire pour redonner à chacun le sens de son engagement dans l’entreprise.

Alors  que faut-il faire?

Il faut sans aucun doute prendre de la distance avec l’approche gestionnaire qui prévaut dans la gouvernance de nos entreprises. Il faut s’intéresser à la dimension irrationnelle dont elles sont porteuses. Ce qui fait qu’une entreprise est « porteuse de sens », c’est sa capacité à identifier et mettre en avant en quoi ce qu’elle produit est un « bien » pour son environnement. Il n’y a pas de mauvais produits ou de mauvais services. Si quelqu’un achète ce que vous produisez, c’est qu’il estime que cela est bien pour lui.  Identifier et mettre en lumière ce bien est la condition nécessaire pour permettre à chacun de s’autodéterminer en conscience sur sa volonté de collaborer.



Les données rationnelles de la gouvernance de l’entreprise découlent des données irrationnelles. Si ces données irrationnelles ne sont pas « mises en lumière », le projet d’entreprise n’a pas de sens.
Un travail sur la mise en lumière de la vision, de la finalité, des valeurs et du but de l’entreprise est donc absolument nécessaire. Ce travail ne doit pas se faire dans le huis-clos du comité de direction. Il doit tenir compte de la réalité de l’entreprise, ce qu’elle est en vérité, son identité. Il doit ensuite prendre en compte la représentation imaginaire du plus grand nombre. Les collaborateurs sont tous constitutifs de cette identité.
Un travail historique sera, par exemple, nécessaire. Par qui, quand, comment, pourquoi, et pour quoi cette entreprise a-t-elle été créé. En répondant à ces questions, la compréhension intelligible de la cohérence du tout sera possible. Rien de pire, par exemple, qu’un travail sur les valeurs de l’entreprise qui serait déconnecté de la réalité. Les valeurs ça ne se décrète pas, ça se construit et ça se vie.

Il faut aussi revisiter le mode de management. On note une mutation importante du rôle du chef dans les entreprises. Il passe du statut de décideur omnipotent et tout puissant à un statut de facilitateur. Dans un monde de plus en plus complexe, il s'agit de mettre en place les conditions qui permettent à chacun de donner le meilleur de lui même et d'exprimer pleinement ses talents.

Il faut enfin revoir toutes les règles qui régissent au recrutement et à la promotion des collaborateurs pour ne plus s’intéresser par préférence aux compétences mais aux dons et talents. Pouvoir mettre en œuvre ses dons et ses talents dans son action professionnelle est un gage d’engagement et de réussite.

Pour faire face aux défis incroyables que doivent relever les entreprises du 21ème siècle, une « révolution culturelle » s’impose. Finit le règne absolu du tout organisation et du tout gestion. Le développement des entreprises reposent sur les hommes et les femmes qui les composent. Pour pouvoir mobiliser leur volonté et leurs énergies, il est nécessaire de redonner su sens à leurs actions.