« Connaitre, ce n’est point démontrer, ni expliquer, c’est accéder à la vision »

Antoine de Saint-Exupéry

mercredi 24 janvier 2018

TRAVAIL ET IDENTITE

L’Homo Economicus cours un risque majeur, c’est celui de s’identifier à l’œuvre qu’il accomplit.

J’ai rencontré cette semaine une personne de mon voisinage qui prend sa retraite dans… 2 jours ! 
Comme il est surprenant de constater que, alors que l’abaissement de l’âge de la retraite semble être un combat sociale majeur, les personnes qui sont « au bord de la retraite » vivent cette étape de leur vie avec douleur !

Si le bonheur c’est de vivre de ses rentes, la retraite étant une rente, pourquoi fait-elle si peur ? Et pourquoi cet évènement supposé heureux augmente-t-il le risque de maladie ? D’après une étude Anglaise de mai 2013, prendre sa retraite augmente le risque de dépression nerveuse de 40% !

J’ai pu constater en discutant avec ce voisin l’existence d’un sentiment de « peur ». Que vais-je devenir ? Que vais-je faire de mes journées ? Qui vais-je continuer à fréquenter ?
Et au-delà de ces interrogations sociales légitimes, une question beaucoup plus fondamentale : Qui vais-je devenir ?

Notre modèle de société occidentale nous amène à nous identifier à ce que nous faisons. Notre identité sociale est généralement liée à l’activité que nous exerçons. Il est rare que dans une réunion « mondaine » nous n’entamions une nouvelle relation sans commencer par dire ce que nous faisons. Et la manière dont nous le disons est révélatrice : « JE SUIS… Consultant, Directeur, Ebéniste… ».
La suite de la conversation dépend généralement de la nature de l'activité que vous annoncez. Si vous rencontrez le Docteur Martin et que vous lui dites : « Bonjour Monsieur Martin », il y a de fortes chances pour qu’il vous reprenne en précisant : « JE SUIS le Docteur Martin ». Cette précision aura pour conséquence une mise à distance dans la relation.
Demandez, maintenant, aux femmes au foyer, celles qui ont choisi librement comme activité, comme travail, l’éducation de leurs enfants à quelles conséquences elles sont soumises à la révélation de cette activité. Au mieux de la condescendance, au pire du mépris et généralement la fin de toute discussion.

La vérité c’est que nous ne sommes pas notre activité professionnelle. Nous exerçons cette activité. Cette activité est un révélateur de certaines facettes de notre identité. Mais elle n’est pas nous et nous ne sommes pas elle.

Il n’est évidemment pas mauvais en soi pour la mise en place de la relation de confiance, de la juste autorité, de l’identification et du respect des rôles et des prérogatives de chacun de construire et de revendiquer cette identité professionnelle. Mais lorsqu’elle devient « identité propre », le risque est grand de confondre ce que je suis avec ce que je fais.

C’est le grand jeu médiocre de la politique spectacle à laquelle nous sommes soumis depuis de nombreuses années. Les candidats aux élections ne prennent plus la peine de développer une vision politique, de construire des programmes sincères, mais, avec la complicité des grands médias, ils se contentent de porter des jugements définitifs sur leurs adversaires en les réduisant à leurs travers et leurs défauts. 
On cherche la faute, on scrute les manquements, on provoque des erreurs qui sont ensuite montés en épingles pour détruire l’adversaire, le rendre ignoble aux yeux des électeurs.
Le sort qui a été réservé à François FILLON lors des dernières élections présidentielle en est la parfaite illustration.
Croyez-vous sincèrement que les autres candidats étaient « irréprochables ». Etes-vous, vous-même, irréprochable ? N’avez-vous jamais succombé à la tentation d’un arrangement avec le règlement en votre faveur ? Cela fait-il de vous une « mauvaise personne » ? Tout au plus, une personne faible et pas très courageuse. Cela n’excuse pas certaines faiblesses, cela ne justifie pas les fautes mais cela redonne sa dignité au fautif capable de reconnaitre, de regretter et si possible de réparer ses erreurs.

Arrêter une activité professionnelle ne change pas notre nature profonde ! Cette « confusion de l’Etre » peu expliquer pourquoi certaines personnes qui occupent des postes honorifiques, des fonctions enviées, des responsabilités puissent avoir du mal à quitter leurs fonctions. Combien il est impossible, lorsque mon identité repose sur ma fonction, de renoncer à moi-même !
C’est le cas, par exemple, dans la transmission d’entreprise. Il est très compliqué pour le cédant d’abandonner ses fonctions. Comment peut-il imaginer sereinement se séparer de ce qui parait alors comme l’essence même de sa personne ? Cela s’apparente à un suicide social !

L’exercice du pouvoir peut faire croire à certains qu’ils sont puissants. Mais ils ne le sont pas ! Ils exercent une fonction dans laquelle leur a été donné des pouvoirs ! C’est une immense différence !

Pour les personnes qui n’exercent pas des métiers de pouvoirs, on retrouve la même confusion. Mon voisin est ouvrier depuis 42 ans dans la même entreprise. Et quitter son emploi, c’est un peu comme s’il se quittait lui-même.

Etre heureux au travail, c’est se saisir de toutes les occasions qui se présentent, de tous les aléas de la vie professionnel pour se découvrir chaque jour un peu plus soi-même. Changer d’activité peut alors être une extraordinaire opportunité de développement personnel. Et prendre sa retraite n’est pas nécessairement synonyme d’arrêt d’activité…

A la semaine prochaine…

mercredi 17 janvier 2018

LA MOTIVATION AU TRAVAIL

Etre motivé par son travail c’est la combinaison de deux réalités et d’un espoir projectif.

La première réalité est fonctionnelle. Le travail que nous exerçons, notre fonction professionnelle permet-elle l’expression de notre singularité, le développement de nos dons particuliers sur lesquels repose nos talents spécifiques (soit : une hyper compétences, synthèse d’un don naturel et d’apprentissages mis en œuvre pour développer ce don).

Pour être heureux et motivé dans notre travail, il est nécessaire de découvrir ces dons et donc de développer la « découverte de soi ».

La deuxième réalité est une réalité conjoncturelle. C’est ce que l’on peut définir par « l’ici et maintenant ». Les conditions dans lesquels j’exerce mon activité sont-elles favorables à un mon épanouissement ? L’environnement dans lequel je me trouve est-il suffisamment sécuritaire pour que je puisse prendre le risque d’œuvrer ? L’œuvre à laquelle je coopère a-t-elle un sens pour moi ? Mon travail permet il l’expression de mes dons et de mes talents ? Est-ce que je prends du plaisir dans mon travail ? L’ambiance est-elle bonne ?

Cette réalité conjoncturelle est fondamentale pour être heureux au travail mais elle n’est pas suffisante. C’est l’erreur de certaines grandes entreprises qui investissent des sommes importantes pour développer le bien être mais qui n’agissent pas pour donner de la valeur à l’œuvre accomplie. Les collaborateurs se trouvent aliénés à leur entreprise parce qu’il serait inconcevable « aux yeux du monde » de quitter une entreprise dans laquelle « il y a tant d’avantages ». Mais dans ces entreprises là aussi le nombre de collaborateurs désengagés est important.

Pour être heureux au travail, il est nécessaire de prendre sa vie professionnelle en main et de renoncer à se laisser mener par les évènements. Il faut savoir agir pour créer les conditions favorables à son épanouissement professionnel. Attention cependant à ne pas céder à notre inclinaison naturelle qui nous pousse à nous focaliser sur ce qui ne va pas en oubliant ce qui est positif dans toute situation. La perfection n’est pas de ce monde. Les contraintes font parties de l’équation. Et les contraintes d’aujourd’hui sont souvent un apprentissage nécessaire au développement de nouveaux projets.

Nous nous évaluons beaucoup par comparaison, regardant ce que les autres ont et ce que nous n’avons pas. Nous prenons le risque en agissant ainsi de nous fixer des objectifs inatteignables et au-delà de nos compacités. Beaucoup de jeunes joueurs de football rêve de jouer comme Zinedine Zidane. Cela n’arrivera pas. Pour la simple et bonne raison c’est qu’ils ne sont pas Zinedine Zidane.

Enfin, l’espoir projectif prend forme dans la compréhension intelligente du projet auquel nous collaborons. Chaque entreprise humaine s’inscrit dans un projet. Ce projet trouve sa raison d’être dans l’espérance d’atteinte d’un résultat. Il est important, pour être heureux au travail, de prendre le temps de déterminer les contours du résultat espéré et de mesurer s’il représente pour nous personnellement un « phantasme » particulier, une cause à défendre, une espérance, une prouesse… qui a du prix à mes yeux.

Cette projection « phantasmatique » est de deux ordres : soit elle réside dans la valeur de la mission à laquelle répond l’entreprise (ex : je me sens particulièrement concerné par les problèmes de la santé au travail) ; soit par la nature du travail accompli (ex : je suis passionné par la mécanique industrielle)


A la semaine prochaine …

mardi 9 janvier 2018

BONHEUR ET PENIBILITE

Etre heureux au travail, ce n’est pas tant ne plus avoir de contraintes, travailler dans un environnement confortable, organisé, sous contrôle, parfait et faire ce que je veux quand je veux, mais c’est coopérer à une œuvre qui a du sens parce qu’elle rend un service reconnu et valorisé, exprimer ses dons et ses talents dans son travail au quotidien et développer des relations professionnelles constructives au service d’une œuvre commune.
C’est travailler à être bien au travail plutôt qu’à rechercher le bien-être au travail. C’est ne plus considérer son travail comme un objet de consommation mais comme un moyen de réalisation.

Quelle utopie de croire un seul instant que nous allons pouvoir un jour nous affranchir de la pénibilité au travail ! Tout travail est pénible, fatigant, éprouvant. Certains le sont plus que d’autre et il semble légitime de vouloir en alléger les contraintes. Mais c’est aussi parce qu’un travail est pénible, difficile qu’il est source d’épanouissement. Il permet alors de se découvrir et de se développer.

Faites l’exercice suivant :
Rappelez-vous ce que vous pouvez considérer comme votre meilleur souvenir au travail

-        Quelle séquence de votre vie professionnelle vous a rendu le plus fière ?
-        Quelles étaient les circonstances dans lesquels vous avez dû agir ?
-        Comment avez-vous abordé cette séquence ?
-        Quelles résultats avez-vous obtenu ?
-        Quelles ont été les conséquences de cette opération pour vous, pour votre entreprise, pour votre entourage ?

Dans une très large majorité des cas, lorsque je pose cette question au cours de mes interventions en entreprise, les circonstances du meilleur souvenir au travail sont :

-        Un challenge, une demande difficile voir une « galère » pour laquelle il a fallu mobiliser des ressources insoupçonnées. Il y a donc une donnée d’engagement voir d’une certaine forme de « souffrance »,
-        Un travail en équipe, qui sous la pression des conditions spécifiques a su mettre en œuvre un esprit de solidarité orienté vers le résultat,
-        Un résultat positif souvent au-delà du résultat attendu,
-        Si ce résultat a permis d’obtenir une reconnaissance particulière sous la forme d’un bonus, de félicitations, d’une promotion ou de toute forme de célébration de la part de la hiérarchie cela achève d’en faire un « meilleur souvenir ».

Nous pouvons en conclure que ce qui nous rend fier, heureux de notre travail (meilleur souvenir), ce sont généralement des galères, un fort engagement, la solidarité de l’équipe, du succès et de la reconnaissance. Ajoutez à ce cocktail heureux une activité porteuse de sens et vous obtenez une vie professionnelle épanouie.
On est loin, dans ce schéma, d’une vision édulcorée reposant sur la notion de confort et d’absence de pénibilité.

« A vaincre sans péril on triomphe sans gloire. » Le Cid, Corneille


A la semaine prochaine…